8 avril - la mandragore
En raison de ce confinement nous empêchant de pouvoir flâner, ou randonner dans la nature, nous allons dans ces conditions nous rendre dans le carré de verdure de notre petit musée de l’étrange. Dans ce cadre végétal, ou le visiteur peut faire une halte rafraichissante en présence de plantes choisies pour entrer dans notre « Jardin de la sorcière ». Dans ce ‘carré’, nous avons voulu y installer des plantes et végétaux entrant, au moins au Moyen-Age, dans l’usage et la constitution de potions ou panacées régénératrices et médicamenteuses. En ces temps, la médecine est ce qu’elle peut être avec les moyens disponibles et… autorisés sous peine de sanctions parfois extrêmement sévères. Celles et ceux, atteints de quelques maladies ou maux divers, consultaient les docteurs et médecins. Leur science à ce moment étant ce qu’elle était ne pouvait pas toujours apporter la guérison attendue et souvent finissait devant les effets dévastateurs du mal… par jeter l’éponge.
A partir de ce constat d’impuissance intervenaient, alors souvent, des femmes proposant leur savoir en soins et soulagements face à des maladies souvent graves. A cet effet, les soins se faisaient depuis une pharmacopée souvent à base végétale. Et, tout aussi souvent, à la stupéfaction des doctes savants, elles obtenaient des résultats satisfaisants là où ces messieurs, bardé de diplômes ronflants, n’avaient rien pu faire. Ceux-ci, assez vexés et quelque peu misogynes, disons-le, s’empressaient de clamer qu’il ferait beau voir que ces… femmes… en sachent plus qu’eux en termes de médecine. Qu’elles ne pouvaient réussir là où, avec leur science ils avaient lamentablement échoué… sauf, si bien entendu, derrière leur tisanes et élixirs se cachait la ‘pâte pelue’ du démon qui, en échange de quelques âmes, les aidaient à se montrer guérisseuses ! Et, passez muscade, ces femmes, seulement versées dans l’étude des simples et leurs préparations, finissaient toujours sur le bûcher pour sorcellerie. L’affaire était entendue. Aujourd’hui, en prenant une infusion de verveine, personne n’a la sensation de pratiquer la plus sombre des sorcelleries, mais à ces époques d’obscurantisme, on ne badinait pas avec le malin et ses praticiennes.
Nous avons donc hébergé des plantes entrant depuis longtemps dans les préparations de celles assez savantes en science curative des végétaux. Ainsi prennent place dans notre potager Hellébore, Absinthe, Ruta, Epine du Christ, Armoise, Iris, Belladone, verveine, Badiane, racine de Tamus et… l’extraordinaire Mandragore ! C’est devant cette merveilleuse plante que nous nous arrêtons pour cette fois.
De son nom scientifique, Atropa Mandragora. De la famille des Solonacées, c’est une plante vénéneuse et dangereuse sans précaution. Forte de quatre alcaloïdes, hyoscyamine, hyscine, un ‘pseudo-hyoscyamine et la fameuse mandrzgorine diluables en alccolature. En ancienne pharmacopée, ces bases interviennent contre la coqueluche, hépatiques, ulcère d’estomac, asthme, règles douloureuses et rhume des foins… L’usage de ce produit est très dangereux et pour cela rarement prescrit. Au Moyen-Age, conserver cette plante chez soi vous rendait passible du bûcher pour sorcellerie… On se souviendra que lors de son procès, une certaine Jeanne d’Arc est accusée d’avoir voulu guérir, puis prendre soin d’une mandragore, en se rendant vers un arbre appelé « arbre aux fées », moins d’un quart de lieu de Domrémy… cet acte catalogué de sorcellerie pèsera dans le procès de cette personne.
De plus, cet étrange végétal se serait trouvé impliqué dans certaines traditions aux origines de la Genèse tel que nous pouvons le lire dans ‘De natura’ de Lucrèce où il explique que la race humaine serait issue de matrices semblables à de gigantesques mandragores animées par le nouveau soleil et s’extrayant de la terre mère. De fait, différents auteurs (notamment Laurens Catelan et Eliphas Lévi) étudièrent le lien entre la Mandragore et l’humain femme et homme, un lien connu depuis la plus Haute Antiquité. En effet cette plante, tout comme le canabis, est mâle et femelle. Cette dernière semblait représenter les attributs de la féminité avec matrice et poitrine, pendant que la mâle en avait les siens par ses racines distinctives dites ‘adventives’.
L’Egypte antique fait déjà mention que Râ, le dieu soleil, voulant se venger des hommes envoie sa fille Hathor pour détruire les humains. Elle ne pourra conduire l’extermination à bien pour s’être endormie après avoir bu ‘7000 cruches’ de macération de mandragore dans du sang humain… Dans la religion, on la retrouve dans le ‘Cantique des Cantiques’ où il est dit que les Mandragores répandent leurs ‘suaves odeurs’ en apportant toutes sortes de fruits exquis… et d’autres pouvoir tel celui de libérer les femmes en parturition difficile, comme l’exemple en sera repris dans le film ‘Le labyrinthe de Pan’ (Guillermo del Toro, en 2006)… Bref, car nous voici après ce parcourt des exploits de cette plante hors norme au second film d’Harry Potter au moment où madame Chourave (professeur de botanique à l’école des sorciers de Poudlard) apprend à notre héros et ses amis à déterrer la mandragore sans danger… Car en effet il y a danger à déraciner la mandragora, qui, se sentant sur le point d'être dépotée, pousse un cri tel qu’il détruit les neurones de l’auteur de ce terrible méfait en le tuant net…
Certes, nous ne faisons pas de démonstration d’arrachage de Mandragore lors de la visite botanique du jardin de notre sorcière de service… Nous préférons la montrer dans son environnement en rappelant que la racine, effectivement lorsqu’elle est mature, a une forme légèrement anthropomorphe pouvant ainsi induire les légendes et pouvoirs qu’on lui prêtait autrefois dans les antres de sorciers de nos campagnes, comme on en voit dans deux bocaux du jardin de notre gentille sorcière… Ainsi, tout bon rebouteux digne de ses fonctions se devait de tenir sur ses rayons secrets des bocaux de ‘fort verre’ ou il se tenait à disposition des ‘créatures’ moitié humaines moitié végétales, prêtes à lui obéir.
C’est juste avant le salon de divination que le visiteur amateur de botanique ensorcelante pourra voir pousser paisiblement nos deux Mandragore femelle et mâle sans risquer de s’y laisser liquéfier le cerveau à leurs cris de détresse et de colère. Dans notre musée, elles sont paisibles et inoffensives… encore que certains soirs lors de visites nocturnes ; la nuit d’Halloween notamment, il ne soit pas recommandé de trop s’attarder devant nos deux mandragores dont le nom dérive de ‘Mandrack’… la magie.
André Douzet
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