28 avril - la carapace de tortue
Les collections du musée de l’étrange se sont enrichies du don d’une carapace de tortue avec sa tête de teille impressionnante puisque la coque mesure près d’un mètre de long pour 75 cm sur la partie la plus large. Elle a été ramenée de Mururoa, par un militaire, au moment où notre pays y avait aménagé une base de recherches scientifiques. Il s’était lié de sympathie avec des autochtones vivant essentiellement de la pêche et s’était vu inviter à une cérémonie festive durant laquelle une tortue était chassée, capturée et… finissait en agape rituelle dans le but de rendre les forces de la nature locale, invitées symboliquement, à rester bienveillante pour les membres de la petite communauté. Le militaire, devenu familier envers eux était leur invité d’honneur et après les cérémonies et le repas rituel, s’était vu offrir la carapace et la tête en forme de cadeau privilégié et symbolique. Pour ces natifs, ces présents des plus précieux lui apporteraient ensuite la longévité, la réflexion et toute la protection que seul ce paisible animal transportait avec lui…
Regardons, à présent, d’un peu plus près cet animal des plus exceptionnels et étranges. A ce jour, il est une des plus anciennes créatures n’ayant guère changées depuis près de… deux cent millions d’années. On se doute qu’avec une telle durée de race, celle-ci finisse par représenter la longévité, continuation et persistance de vie et de constats symboliques sur la vie et la lenteur à la parcourir. En toute logique, il devenait naturel que cet animal aboutisse en totem de sagesse et savoir dus à ces temps infinis à méditer et devenir sage. La tortue est évidement associée au symbole de l’eau, de fait également au mouvement et au moment de création de toutes vies antédiluviennes au sein des mondes marins. Ce lien avec l’élément liquide la place d’office dans les créatures préférées des divinités aquatiques et forcément féminines. Au demeurant cet animal s’appelle bien ‘une tortue’ qu’il soit femelle ou mâle confondus.
Cependant, à cet aspect liquide primordial à toute vie se double, en raison de sa carapace, à illustrer la terre, puis l’univers épousant la forme intérieure de la coque que nous ne voyons symboliquement que du dedans soit l’inframonde qui serait le nôtre dans la cosmogonie. La tortue devient alors la matrice créatrice de l’univers et de l’infini. Au demeurant, pour certaines anciennes tribus indiennes, les terres émergées (si tant est qu’ils aient eu la notion des terres immergées) sont le fruit des amours d’une gigantesque torture et d’un océan infini, avec à nouveau ce rappel du féminin et masculin cosmogonique, que quasiment toutes les populations adopteront sans en avoir conscience. C’est également une tortue stellaire ‘longue de 15000km’ qui supporte sur sa coque le ‘disque-monde’, d’après les écrits de Terry Pratchett. Un disque rond et plat tenue dans l’univers par quatre pachydermes eux aussi posés sur la carapace de la bête, appelée A’Tuin et navigant doucement dans le cosmos vers un but qu’elle seule peut connaître, du moins le pense les premier humain se penchant sur leur création…
Et puis, en terme de cosmogonie, entendons que de ce mot à cosmologie il n’y a que peu de différence, une sorte de simple cousinage si on peut dire. Ce dernier nous conduit à la voute céleste, sombre comme la partie interne de la carapace, émaillée des myriades de constellations et luminaires célestes. Le rapport des deux se fait en toute évidence avec le fait que la carapace est formée de 13 écailles, ces 13 parties s’identifient aux 13 phases lunaires ou encore les 13 périodes menstruelles féminines.
En outre, le premier berceau des bébés royaux en attente de baptême, était formé d’une profonde carapace de tortue (certes sertie d’or et confortablement matelassé) dans lequel le bambin passe ses premiers jours, et en tous cas jusqu’à son baptême qui le sortira des anciennes coutumes païennes pour le passer dans celles de la religion en place. Le fait de séjourner tout d’abord dans la conque de la tortue - de l’extérieur, représentant la courbe d’un segment de la terre- donnait au futur monarque la prise de possession par l’intérieur de son royaume et ses sujets… L’eau et l’onction de son baptême chrétien ensuite lui donnaient, en plus de ceux du ‘goupillon’ l’ajout des pouvoirs absolus de l’épée… ainsi la tortue scandait-elle les premiers jours et la prise de pouvoir royal du nouveau roi comme ce fut le cas d’Henry IV. C’est dire l’importance que prenait la tortue dans le symbolisme et l’ésotérisme des couronnes de France, une importance tolérée, sans vraiment pouvoir la refuser, des tiares de la religion.
La mythologie ne sera pas en reste en termes de carapace de tortue puisque, pour les Grecs de l’antiquité, Hermés jouera de sa lyre, Khelus, de façon magique en raison du fait que cette dernière a été manufacturée dans une coque de cet animal mythique.
Ensuite, de façon plus savante, la linguistique fera elle aussi la partie belle à cette partie solide sous la tortue appelée ‘plastron’, qui pour les anciens chinois est le premier support sacré de leur écriture primordiale. Ce dessous de carapace donnera le terme de plastomancie à l’art asiatique de divination depuis ces écailles et le nom de leur première écriture appelée ‘Ecriture ossécaille’ parce que les écailles étaient considérées comme les ossements de la tortue du premier monde.
Regardons aussi que dame tortue donnera plus de quarante personnages à nos arts en terme littéraire, cinéma, Jeux et roman pour le plus grand plaisir de ses jeunes, et moins jeunes admirateurs…Enfin, ce seront deux tortues soviétiques qui seront les premières créatures terriennes accomplissant une révolution autour de la lune en … dans l’espace et en reviendront indemne.
Cette carapace étrange vous attend si vous voulez venir la contempler visiteuses et visiteurs… mais sans pour autant vous presser, puisqu’à l’image du ’Lièvre et la tortue’, pour vous aussi rien ne servira de courir mais de partir à point… jusqu’à elle.
André Douzet
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