27 avril - L'antre du sorcier
En visitant les salles de notre musée, le curieux d’étrange peut à loisir s’arrêter et regarder les reconstitutions formant des décors sur nos thèmes. Des décors bien entendu, mais tous installés depuis des originaux avec les pièces et éléments les constituant à l’époque où le vieux collectionneur les avait entièrement récupérés dans leur jus, par exemple comme ce fut le cas de l’endroit où ‘exerçait’ un rebouteux (ou rhabilleur selon le nom donné dans les régions du pagus de Pilat). Les activités de l’étrange connaisseur débordaient, très souvent, voire trop souvent, en faits liées à ce qu’on pourrait appeler sommairement ‘sorcellerie’ et que nous nommerons simplement ‘magie noire'… Et tout ceci dans l’ombre complice et protectrice des lieux ou notre ‘jeteux’ pratiquait ses savoirs et actions aux confins du royaume de l’innomé.
Les seules ‘créatures’ entrant dans ce… sanctuaire des ténèbres était le rebouteux lui-même, son chat et la personne demanderesse durant la consultation et personne d’autre jusqu’à son décès, pas même ses familiers ou son épouse. Nous sommes là, de fait, dans ce lieu certes reconstitué à l’original, à l’exception du volume et la forme du local. Quant aux objets, ils ont tous été récupérés et redisposés comme ils le devaient au moment où le temps s’est arrêté pour eux dans une cave profonde d’une ferme isolée vers le col de Pavezin pas si loin du domaine de Grange-Rouet, ce qui est, avouons-le des plus insolites, en matière de magistère ouvrant certaines forces peu orthodoxes si on peut s’exprimer ainsi. Admettons bien qu’au moment du nettoyage des caves de notre propriété, nous étions encore loin d’imaginer que derrière le tas de vieux bois pourris encombrant l’intégralité ce local, se trouvait un fois vide le local idéal à la reconstitution que notre visiteur peut voir ici.
Depuis des décennies, nos éléments dormaient, soigneusement empaquetés dans des caisses en attendant ce moment de remise dans leur décor initial. Tout y est comme au moment où le vieux rebouteux recevait son ‘demandeur’ devant son ‘tour’ de travail composé d’une maie (grande huche-pétrin à pain) haute et longue. L’homme du ‘malin’ le faisant asseoir sur une chaise basse aux pieds coupées pas plus haute qu’une sorte de ‘prie-Dieu’. Cette particularité était prévue à seule fin que le ‘demandeur’ se retrouve ‘plus bas’, en état de demandeur inférieur au ‘jeteux’. Quant à ce dernier, il recevait son ‘dolent’ assis dans un fauteuil (recouvert d’une couverture composée de 13 peaux de loups dont nous reparlerons bientôt) plus élevé et sur lequel seul le chat pouvait s’installer et s’y pavaner librement. Ce siège insolite trônait sur une estrade afin d’être au-dessus des consultants tenus en une sorte de détresse physique matérialisée et les diminuant par ce dispositif, certes quelque peu humiliant, mettant chacun à sa seule place, du moins le temps des rituels et cérémoniels adaptés aux appels et résultats de la ténébreuse magie des campagnes reculées de tout et tous. C’est ainsi qu’on peut trouver dans cet antre tous les indispensables ustensiles à ses diaboliques pratiques tels une main de gloire, le fameux crucifix inversé, les ouvrages intouchables par le commun, les potions, préparations et onguents. Egalement cet arsenal se complétait par la partie haute d’un maître-autel récupéré dans le chœur d’une église en démolition ou restauration et dont le nouveau père curé venait de décider de faire table rase du vieux meuble et le changer pour un… plus moderne. Bien entendu, notre rebouteux avait également réussi à obtenir un calice avec le reliquaire (et ses étoles), du patron maître de sa paroisse. A cela, s’ajoute la traditionnelle ‘lanterne’ de verre rouge qui lorsqu’elle était éclairée par une lampe à huile signalait la présence du St Sacrement dans le sanctuaire.
Cependant, cette partie des plus religieuses et sacrées côtoyait un second autel qui, lui, était dédié au démon. Sous un coffrage de tissu noir, un crâne humain orné, à son sommet, d’une étoile d’argent à cinq branches inversée et posée sur une étole mortuaire elle aussi inversée. Ce contenu déposé dans la cavité complètement revêtue de tissus noir était encadré de deux épaisses cornes animales recourbées autour du crâne… Des globes en coupes de verre, elles aussi garnies de bougies ou lampes à huile, aux lumières blafardes finissent de donner à l’ensemble un redoutable et macabre aspect. Ainsi le rebouteux usait des influences religieuses faisant appel aux saintes et saints. Si les suppliques aux patrons et patronnes ne donnaient pas de résultats probants, c’est au démiurge lui-même qu’il s’adressait vivement en usant du calice pour un office ‘retourné’. Si toutefois, là encore, le résultat se faisait trop attendre ou ne se montrait pas assez convaincant, il changeait le cours de ses incantations en invoquant alors les forces du mal qu’il savait, ou prétendait, n’attendre que ce moment de flottement de résultats pour intervenir. Bien entendu, à partir de là, les exigences de tarifs changeaient car dès lors, les interventions démoniaques cédaient leurs forces contre évidemment d’immondes contreparties qu’on ose prononcer mais qui coûtait de l’argent pour les obtenir.
Des ‘massacres’ lui servaient de porte-manteau où il déposait son béret et autres habits de cérémonies, tout à côté de son fusil, ses pièges à loups et autres fourches ou bâton rituel d’invocation… Une baratte pour faire ‘tourner’ le beurre d’un voisin peu aimable, bougon ou au regard douteux, pendant que l’arsenal permettant de faire tourner les avantages de la vie au désastre ou au bien s’alignaient ainsi sur les murs ou les rayons du rebouteux aux étranges pouvoirs. Bien entendu nous reviendrons sur ces éléments les plus notoires, étranges ou inquiétant au fil des présentations suivantes.
André Douzet
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