25 avril - l'eau de vie de vipère
Dans nos campagnes, sur la cheminée ou dans l’armoire-buffet de la grande salle, il avait une bouteille sur laquelle veillait la pénombre. Les anciens vous diront que chaque foyer ne manquait pas d’avoir toujours à demeure au moins deux de ces bouteilles de panacée serpentaire indispensables que même le père curé conservait jalousement au fond de son presbytère. On la sortait en cas de maladie pour les humains et animaux confondus… il s’agissait du flacon de ‘vipérine’ ou ‘eau-de-vie de vipère’. Une bouteille, un flacon de verre, on est devant un récipient contenant un serpent, une vipère ! Celle que nous présentons dans notre vitrine ‘les animaux étranges’ provient de la région du Pilat et plus particulièrement des alentours de Pélussin. Il y a encore près de 40 ans, dans un hameau reculé, vivait un des derniers ‘chasseurs de vipères’. En plus de quelques ‘dons’ de guérisseurs l’homme s’adonnait à la capture de ces reptiles paisibles si on ne les importune pas mais dangereusement agressifs, voire mortels, s’ils se sentent menacés. C’est dire que ce genre d’activité restait aussi peu commun que considéré comme ‘diabolique’ et redoutable pour un revenu, somme toute, peu rentable pour risquer la mort. Alors on peut se demander ce qui pouvait le motiver à jouer au chasseur de reptiles. Ce n’est que plus tard que nous apprenions, au fil des prospections en matière de rebouteux et sorciers du Pilat, que celui-ci avait la réputation d’avoir passé un pacte avec le démon, avec le serpent du premier jour. Mais en vérité on peut se demander si l’homme au béret n’avait pas simplement eu une sorte d’anomalie biologique l’ayant en quelque sorte immunisé contre le venin de vipère, ou en tous cas ne lui provoquait-il pas autre chose qu’un léger dérangement passager. C’est ce qu’il avait fini par confier au vieux verrier à l’origine des collections dérivant sur les reptiles comme le visiteur peut les voir dans le ‘cabinet des curiosités’.
Mais au fait comment cette sorte d’élixir sans aucune manipulation humaine peut-il agir à part l’intervention du démon qui pour l’instant, sur le plan biologique reste des plus douteuses. Alors il nous reste ce que la chimie naturelle peut seule expliquer aux confins du possible car après, notre ticket n’est pas valable. L’homme répartissait son travail en deux parties de revenu, la première pour les demandes locales de cette panacée formidable. La seconde partie de sa collecte de reptiles finissait, une fois atteinte un chiffre acceptable d’une bonne dizaine d’individus, dans un laboratoire lyonnais qui lui les payait régulièrement à chaque livraison en monnaie sonnante et trébuchante sans reçu ou facture. Ni vu ni connu ! A partir de cette livraison, les laborantins parquaient les pensionnaires dans de confortables vivariums d’où ils sortaient régulièrement pour des prélèvements de venin. Un venin indispensable à la fabrication de vaccins, mais également de médicaments pour les maladies cardio ou liées aux atteintes pulmonaires du froid. Pour les particuliers, les choses se déroulaient un peu différemment. On commandait un litre de Vipérine contre deux d’eau-de-vie…
Le chasseur partait dans la nature avec la bouteille pleine dont il buvait une ou deux grandes gorgées. Dès un reptile capturé, il le tenait fermement derrière la tête pour ne pas être mordu. Ensuite, coinçant la bouteille entre ses genoux il en retirait la fermeture, puis de sa main libre entrait le serpent la queue en premier jusqu’à ce que seule la tête reste au dehors, puis la lâchait d’un coup avant que la bête n’ai eu le temps de mordre. A ce moment la vipère au contact de l’alcool meurt tout en ayant toutefois le temps de cracher tout son venin, ce dernier se dispersant dans l’eau-de-vie. Le corps du reptile restait dans le flacon en se confisant peu à peu dans l’alcool à 60° demandé par le rebouteux. Ainsi la bouteille de vipérine était faite mais ne devait pas être utilisée avant la Noël suivante. En effet, la dilution du venin devait être mature de plusieurs mois pour bien agir avec le temps pour le corps reptilien d’être bien conservé aussi naturellement qu’il restait plongé dans l’eau-de-vie sans en dépasser. Ainsi la vipérine était-elle faite et pouvait après la première nuit de Noël obtenir son viatique pour son entrée dans l’endroit aux panacées de la ferme, sur les humains comme sur les animaux du cheptel. Les résultats se déployaient, avec quasiment toujours le même succès, sur les maladies internes oui mais autant sur les plaies ou maux extérieur aux corps des mammifères des deux espèces. On racontait alors, à voix basse et en se signant trois fois, que ces effets étaient ceux d’un démon soumis à l’homme au béret plus sorcier que rebouteux affirmait-on sans regarder dans sa direction.
Il nous fallait comprendre pourquoi cet ‘élixir’ obtenait de si extraordinaires résultats et c’est un laborantin qui nous en expliqua le processus. La dilution du venin avec le confinement du corps ‘serpentaire’ dans un peu moins d’un litre d’alcool à 60° revenait à la même dose que celle tenue dans les médicaments d’un laboratoire lyonnais spécialisé sur ce genre de produit… et le tour était joué. Après évidemment il restait à savoir sur notre ‘guérisseur’ le savait, l’avait deviné, ou savait donner à sa panacée une autre ‘force’, satanique ou assez magique pour sembler miraculeuse. C’est cette vipérine que vous pourrez voir sur les rayons du musée de l’étrange. Mais à ce moment peut-être vous demandez-vous ce que le chasseur de vipères faisait du second litre d’alcool une fois le premier consacré à y plonger le reptile ? Ah oui, nous avons oublié de vous le dire… le second litre ? il le buvait à votre santé !!!!!
André Douzet
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